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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 09:26

L’INNOVATION DANS LA NOUVELLE
LÉGISLATION DE L’INVESTISSEMENT

Mustapha Mezghani

Le « modèle économique » adopté par la Tunisie a, depuis quelques années, montré ses limites en termes d’emploi et de croissance économique. Il est vrai que la dernière réelle innovation dans ce modèle remonte au début des années 70 grâce à la loi 72, qui a permis l’attrait des activités totalement exportatrices à fort taux d’employabilité et à fort potentiel de croissance et de rentrées de devises. Cependant, ces activités sont généralement restées à faible valeur ajoutée et beaucoup d’entreprises n’ont pas vraiment fait l’effort de monter en gamme se contentant de vendre des minutes. 

Les entreprises tunisiennes totalement exportatrices du secteur du textile, par exemple, ont commencé à rencontrer des difficultés suite au démantèlement des accords multifibres car elles n’ont pas su innover en termes de processus, de produits et de services à proposer aux clients quand elles se sont retrouvées face à des concurrents plus performants y compris en termes de prix. La casse a été ont tiré leur épingle du jeu sont celles qui ont pu assurer un rapport qualité prix compétitif ou qui ont pu fidéliser leurs clients en innovant principalement par
l’introduction de services additionnels facilitant la vie du client. 

Au cours des années 90 et 2000 un effort particulier a été fait pour l’attrait des secteurs innovants à forte valeur ajoutée, à l’instar de l’aéronautique. Cet attrait s’est cependant limité aux couches basses en terme de valeur ajoutée, à travers des activités d’assemblage ou de câblage, plutôt que des activités à plus forte valeur ajoutée. Ceci montre l’importance de l’innovation pour l’entreprise en général, une innovation qui doit concerner toute entreprise tunisienne, quelle que soit son activité, en partant du principe que l’innovation, telle que définie par le Manuel d’Oslo est « la mise en oeuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production) nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures ».

Dans ce cadre, chaque entreprise doit aborder la notion d’innovation différemment en fonction de son activité, de son positionnement, des marchés ciblés, etc. Les entreprises investissent dans l’innovation pour gagner des parts de marché, réduire leurs coûts et, plus généralement, pour accroître leur productivité. Pour beaucoup d’entre elles, l’innovation est indispensable parce que la demande des clients (professionnels ou individus) est devenue plus pointue et que la concurrence s’est accrue. 

Selon une étude de l’OCDE basée sur les enquêtes sur l’innovation de 21 pays, les entreprises qui bénéficient d’une aide publique à l’innovation investissent entre 40 et 70% de plus que les autres. 

D’où l’importance d’encourager et de subventionner l’innovation. 

Par ailleurs, quand le niveau de l’investissement dans l’innovation des entreprises est élevé, la
productivité et le chiffre d’affaires réalisé à partir de cette innovation sont également élevés. D’un autre côté, les entreprises consacrent en moyenne de 1 à 2% de leur chiffre d’affaires à différentes activités liées à l’innovation mais, dans les grandes entreprises de certains pays, cette part dépasse les 5%. 

Ordinairement, la R&D représente entre la moitié et les deux tiers de l’ensemble des dépenses d’innovation mais la proportion varie selon les secteurs et la taille des entreprises. Outre leurs propres ressources, beaucoup d’entreprises bénéficient de différents programmes d’aide de l’État visant à encourager l’investissement dans l’innovation. C’est sûrement dans ce même esprit que la nouvelle législation tunisienne relative à l’investissement encourage les investissements dans la R&D.

C’est sûrement dans ce sens et afin d’améliorer la valeur ajoutée des entreprises tunisiennes que la loi 2016-71 portant loi de l’investissement, dans son article 1, met le contenu technologique dans les objectifs de la promotion de l’investissement et de l’encouragement de la création d’entreprises et de leur développement après (1) l’augmentation de la valeur ajoutée, (2) de la compétitivité et (3) de la capacité d’exportation. 

Naturellement, lesdits objectifs comprennent aussi la création d’emplois et la promotion de la
compétence des ressources humaines, la réalisation d’un développement régional intégré et
équilibré ainsi que la réalisation d’un développement durable.

Ainsi, et conformément au décret 2017-390, les dépenses de la Recherche et Développement peuvent être prises en charge à hauteur de 50% avec un plafond de trois cent (300) mille dinars. Les dépenses de R&D concernées sont les études préliminaires nécessaires pour développer de nouveaux produits ou de nouveaux modèles de production, la réalisation des modèles et des expériences techniques qui y sont liés, ainsi que des essais sur le terrain, et l’acquisition d’équipements scientifiques nécessaires pour la réalisation de projets de recherche et développement et l’acquisition des brevets. 

Si nous avons relevé que les brevets pouvaient bénéficier de subventions et d’encouragement au titre d’une acquisition dans le cadre des dépenses de R&D ainsi qu’au titre de leur exploitation dans le cadre des investissements immatériels, ce qui est encourageant pour les promoteurs qui viendraient à déposer un brevet avant la constitution de leur société et opteraient pour la vente dudit brevet ou bénéficier de royalties sur son exploitation, il semblerait que malgré l’appui et l’encouragement des activités de R&D les frais de dépôt de brevet, consécration de cette R&D ne pourraient pas disposer d’encouragement et de subvention malgré le coût important d’une telle opération. Si cela est le cas, cela n’est pas clairement stipulé par les textes que nous avons consultés. 

Il ne faudrait surtout pas refuser d’accorder ces incitations si le titulaire du brevet est un chercheur tunisien associé à la société et qui aurait déposé son brevet avant la constitution de la société, sous prétexte qu’il est partie prenante. 

Auquel cas, ces incitations risqueraient de ne servir que les intérêts des entreprises consommatrices qui recourent aux brevets d’autrui pour les exploiter voire les acheter à l’étranger, ce qui ne servirait pas l’intérêt de la R&D tunisienne. 

De plus, il n’est pas clairement mentionné le sort des dépenses de R&D entreprises par le promoteur du projet avant la constitution de la société et qui aboutiraient à un dépôt de brevet après constitution de la société. Si l’accent est fortement mis sur la R&D et sur le développement et/ou le contenu technologique, le terme innovation, quant à lui, n’est pas mentionné ni dans la loi 2016-71 ni dans les textes d’application. Ceci peut être dû à deux raisons possibles. 

La première part du principe que l’activité de l’entreprise doit cibler l’innovation à travers toutes ses activités et que le fait de mentionner l’innovation en tant que telle n’aurait pas vraiment de sens. La deuxième serait que l’innovation est abordée uniquement sur son aspect technologique. Cependant, la notion de secteurs innovants est mentionnée dans la loi 2017-8 dans sa sous-section II (Exportation et secteurs innovants) qui accorde les mêmes avantages fiscaux aux personnes physiques et morales qui investissent dans les deux secteurs.

Si la notion d’entreprise totalement exportatrice est clairement définie par la loi 2017-8 et plus particulièrement ses articles 68 et 69, cela n’est pas le cas de la notion de secteurs  innovants ou plus particulièrement d’entreprises innovantes puisque les avantages sont accordés sur la base de l’entreprise dans le capital de laquelle l’investissement a été   effectué et non sur la base d’un secteur.

En effet, l’avantage fiscal relatif aux secteurs innovants concerne « les entreprises réalisant des investissements permettant le développement de la technologie ou sa maîtrise et des investissements d’innovation dans tous les secteurs économiques à l’exception des investissements dans le secteur financier et les secteurs de l’énergie, autres que les énergies renouvelables, des mines, de la promotion immobilière, de la consommation sur place, du commerce et des opérateurs de télécommunication ». De plus, cet avantage sera accordé sur la base d’une décision du Ministre des Finances après avis d’une commission au sein du Ministère des Finances créée spécialement pour les besoins de la question et composée de quatre représentants du Ministère des Finances, d’un représentant du ministère chargé de l’industrie, d’un représentant du ministère chargé de la recherche scientifique, d’un représentant du ministère chargé des technologies de l’information, d’un représentant de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation, d’un représentant de l’Agence nationale de la promotion de la recherche et de l’innovation. Il est à noter que la décision du Ministre des Finances vient remplacer la décision de projet innovant qui était précédemment délivrée par le Bureau de Mise à Niveau.

En plus des primes d’investissement relatives à la R&D, des primes pour certains types d’investissements matériels et immatériels en rapport avec la technologie et éventuellement l’innovation ont été prévus par le décret 2017-390.

A ce titre, il a été prévu une prime de 50% du montant des investissements matériels pour la maîtrise des nouvelles technologies et l’amélioration de la productivité avec un plafond de 500 mille dinars. 

Il a aussi été prévu une prime d’investissement de 50% du coût des investissements immatériels approuvés avec un plafond de 500 mille dinars y compris la prime des études dont le plafond est fixé à 20 mille dinar. Il est à noter que « la prime des investissements matériels pour la maîtrise des nouvelles technologies et [que] la prime des investissements immatériels sont octroyées [uniquement] à la création. Ceci risque de pénaliser certains projets qui n’auraient pas bien identifié leurs besoins au démarrage du projet ou qui viendraient à s’apercevoir, après démarrage du projet, de besoins additionnels en termes d’investissements immatériels ou qui auraient à faire face à un nouveau besoin (à l’instar de « Conception et enregistrement des marques commerciales des produits agricoles », « Mise en place d’un système d’appellation d’origine contrôlée et indication de provenance et autres signes de qualité pour les produits agricoles », « Certification HACCP » et de « certification ISO3,), ce qui est souvent le cas surtout pour les promoteurs qui en sont à leur première expérience ou les entreprises dont l’environnement évolue ou qui cherchent à toucher de nouveaux marchés. Ceci est d’autant plus vrai que les investissements sont parfois relatifs à un produit et non à l’entreprise, et peuvent même être relatifs à un couple de produits marché, à l’instar des « analyses de laboratoire du produit en vue  de démontrer sa conformité par rapport aux normes exigées et l’obtention d’un signe spécifique de qualité », de « l’Assistance en marketing », de la « Certification des produits aux normes tunisiennes et aux normes des pays étrangers », ou du « Marquage Commission Européenne CE ». 

Il aurait été opportun de laisser la porte ouverte aux extensions de projets en appliquant les plafonds de 500 mille dinars par entreprise et non par opération. Le décret 2017-390 a aussi prévu des primes spécifiques pour encourager vingt secteurs considérés comme prioritaires et qui comprennent des secteurs innovants dont les entreprises peuvent être à haute valeur ajoutée. Ces activités bénéficient d’une prime d’investissement de 15% avec un plafond de 1 MDT et ce indépendamment du lieu d’implantation de l’entreprise. 

Les secteurs concernés comprennent, entre autres : les industries de nanotechnologie, les industries de biotechnologie, les industries électroniques, les plastiques techniques et produits composés, les industries automobiles, aéronautiques, maritimes et ferroviaires, et composants, les industries pharmaceutiques et dispositifs médicaux, les centres de recherche et développement et de recherche clinique, les industries des équipements industriels, les industries militaires, les industries culturelles et créatives, les technologies de communication et de l’information, etc.

Il serait préférable que le terme industrie, dans la liste ci-dessus soit utilisé dans le sens anglo-saxon du  terme et intègre aussi les activités de services rattachées à ces industries car beaucoup de ces secteurs sont plus des secteurs de service que d’industrie dans le sens français du terme.En conclusion, la loi de l’investissement (2016-71) et sa sœur jumelle relative aux avantages fiscaux (2017-8) ainsi que les textes d’application encouragent le développement des activités innovantes et technologiques, même si l’accent est plus mis sur le volet technologique que sur l’innovation dans un cadre général vu que l’innovation est sensiblement plus large que la R&D. D’ailleurs il est de plus en plus question de RDI,  Recherche Développement et Innovation, car l’Innovation est relative à l’exploitation ou la mise
sur le marché, ce qui n’est pas le cas de R&D.

Cependant, si les primes relatives aux entreprises actives dans les secteurs encouragés concernent aussi les extensions d’entreprises, la majorité des primes et encouragements relatifs à l’innovation restent limités à la création d’entreprise, ce qui risque d’entraver le développement des entreprises dont tous les investissements immatériels nécessaires n’ont pas été prévus à la création ou celles qui risquent d’hésiter d’investir dans des activités d’innovation en raison des risques associés qu’elles hésiteraient à prendre. 

C’est justement pour encourager les entreprises qui hésitent à investir dans l’innovation que beaucoup de pays de l’OCDE ont mis en place une aide publique à l’innovation. Ceci est générateur de croissance vu que, dans la plupart des pays, 5 à 7 % du chiffre d’affaires des entreprises proviennent de produits nouveaux pour le marché.

 

Article paru dans le numéro 230 de la revue "Le Manager", mai 2017

https://www.fichier-pdf.fr/2018/02/12/mustapha-mezghani-manager-05-2017-innovation-investissement/mustapha-mezghani-manager-05-2017-innovation-investissement.pdf

 

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